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Congolité : des lois qu’il faut enterrer selon les vagues électorales (analyse du professeur Joseph Yabu Kachun)

By on 11 mai 2023 0 277 Views

De 1960 à ce jour, les péripéties liées à la reconnaissance et à la contestation de la nationalité à certains groupes de Congolais ont ponctué les crises politiques, voire sécuritaires en RDC. Les inégalités politiques revêtent aussi les inégalités dans l’accès aux fonctions stratégiques dans l’appareil de l’État ou l’accès aux fonctions publiques.

Les autres inégalités relatives à l’exercice du pouvoir, à la participation politique ou au partage des responsabilités au sein des principales branches ou institutions de l’État sont des sources des antagonismes, des frictions, bref de la surchauffe politique qui favorise la désunion au sein du leadership national.[1]

Cette triste réalité que nous pensions clore avec l’avènement de la loi sur la nationalité n° 04/024 du 12 novembre 2004 qui selon son exposé de motif, « a pour but de répondre d’une part aux prescrits de la Constitution … et d’autre part aux critiques pertinentes formulées par les délégués aux assises du Dialogue Inter-Congolais contre la législation congolaise en matière de nationalité[2], refait surface à quelques mois des élections générales en RDC, avec des  incidences sur  les fondements de la nation et les principes de la démocratie participative.

En effet, tel un ballon d’essai, une proposition de loi fut déposée à l’Assemblée Nationale depuis 2021 qualifiée par l’opinion de « loi de Père et de Mère » qui veut qu’il faille être Congolais de père et de mère pour être candidat Président de la République et accéder à certaines hautes fonctions. Mise en jachère, cette proposition est défrichée et inscrite au calendrier de la session parlementaire de Mars 2023 comme « Proposition de loi modifiant et complétant la Loi n° 04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise » déposée par le député NSINGI PULULU.  C’est un sujet qui divise !

2.     La « Congolité » et/ou la nationalité d’origine au gré des vagues électorales ? 

Cette proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale propose, d’un côté, le caractère irrévocable de la nationalité congolaise. D’un autre côté, l’initiative prévoit le verrouillage de l’accès à certaines fonctions dites régaliennes comme celles du président de la République.

Ainsi, les Congolais nés d’un ou de parent(s) étranger(s) pourraient se voir refuser le droit d’être candidats aux fonctions suprêmes.

Pour les défenseurs de cette idée, il s’agit de « désinfiltrer » le système politique congolais. Les adversaires mettent en gardent contre un amalgame, voire une dérive aux conséquences imprévisibles.

D’aucuns qualifient l’expression

« de père et de mère » de « Congolité »,

 qui est un    néologisme et qui renvoie à une question très délicate en RDC, celle de la nationalité, de même qu’au débat identitaire qui a marqué toute l’histoire de ce pays.

Dans un article démontrant que les nombreux changements intervenus sur la scène politique congolaise depuis le début des années 1990 ont été propices à la créativité lexicale, Ilunga Ntumba identifie la congolité comme une nouvelle lexie et la définit comme l’« ensemble des valeurs qui déterminent l’identité congolaise » [Ilunga Ntumba, 2005][3]. Toute aussi pertinente soit-elle, cette définition ne reflète toutefois pas les polémiques enflammées que ce néologisme soulève en RDC et à l’étranger.

Pour beaucoup, en effet, la « congolité » fait écho à la notion perverse d’« ivoirité » qui a empoisonné la Côte d’Ivoire pendant plus d’une décennie et qui a conduit à de graves violences ethniques [Boa Thiémélé, 2003][4]. Assimilée à ce thème incendiaire, la congolité est dès lors perçue comme une idée négative, une anti-valeur, un « poison » dangereux qui réveille des démons xénophobes et racistes. Elle est, par conséquent, vivement condamnée tant en Afrique qu’en Occident. Effectivement, la congolité présente les traits d’un projet exclusiviste.

C’est avec raison que Dominique Trembloy[5] souligne que « congolité » comme « ivoirité » est exploité avant tout à des fins politiciennes, ne véhiculant aucune idéologie, aucune vision pour le pays. Ce sont des [sous-] produits de luttes pour le pouvoir politique. La remise en question des origines de certains candidats permet de les discréditer auprès de l’opinion publique et vise à les exclure du processus électoral. Il s’agit donc surtout d’une stratégie électorale, d’un instrument de lutte pour conquérir le pouvoir, d’une forme de propagande et non d’une réflexion constructive sur le nationalisme congolais. [Trembloy, 2006, p. 31].

Ainsi, si l’on reprend la définition de la congolité proposée par Ilunga Ntumba comme « ensemble des valeurs qui déterminent l’identité congolaise » et qu’on la confronte au contenu donné à ce néologisme par ses chantres à la veille des élections de 2023, on constate qu’en fait ce concept à la mode ne définit guère les valeurs sur lesquelles est fondée l’identité congolaise. Conçu comme une idéologie identitaire d’exclusion, il vise avant tout à écarter du pouvoir tout acteur politique qui, du fait de ses liens avec un parent étranger, est perçu comme un traître et/ou une menace à la nation. Comme si tous ceux qui trahissent ce beau pays ne se recrutent pas parmi les « bana mboka »

[6].    Pour eux, tout candidat au fauteuil présidentiel doit être de père et de mère du pays qu’il ambitionne de diriger. Cette lecture est erronée car l’article 72 de la Constitution de la RDC et l’article 103 de la loi électorale en fait, établissent que le Président de la République doit « posséder la nationalité congolaise d’origine », l’article 10 énonçant qui’« est congolais d’origine ».

© 2023 Tokia.cd | Ariel Kayembe

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