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Déploiement des troupes de l’EAC à l’Est : « Notre population de façon générale ne compte plus sur toutes ses forces qui viennent en RD Congo », Nicaise Kibel’Bel Oka.

By on 24 février 2023 0 373 Views

Témoin des événements sur place, notre confrère Nicaise Kibel’Bel Oka, spécialiste des questions sécuritaires à l’Est

s’est confié à Congo Guardian sur cette situation en faisant quelques projections quant aux attentes de rétablissement de la paix.

Congo Guardian (C.G.) : Quelle la température actuelle à Goma et ses environs après les manifestations des mouvements citoyens contre les forces de l’EAC au Nord-Kivu ?

Nicaise Kibel’Bel Oka (N.K.O.): Il s’observe un calme relatif, apparent puisque la tension est toujours perceptible. Tout peut basculer à tout moment. Il y a une détermination de la jeunesse pour sauver la patrie d’un danger jamais vécu ici.

C.G.: Comment la population avait-elle accueilli ces manifestations et quel a été son sentiment après leur interdiction par l’autorité publique ?

N.K.O. : La population est totalement en symbiose avec les manifestants, sauf qu’elle n’accepte pas la violence qui l’accompagne. D’une part, elle soutient les manifestants, d’autre part, elle doit faire avec puisque les gens vivent au jour le jour. C’est un sacrifice pour tout le monde. Donc, l’interdiction par les autorités a aussi été bien accueillie pour permettre à la population (surtout aux élèves et aux déplacés qui avaient besoin de l’eau) de vaquer à ses occupations.

C.G. : Quel est l’état d’esprit de la population par rapport à la présence des forces de l’EAC et qu’est-ce qu’elle en attend comme mandat ?

N.K.O. : C’est une déception totale. Après que la MONUSCO a jeté l’éponge, prétextant que l’ennemi disposait d’un équipement plus robuste que la sienne, la population congolaise comptait beaucoup sur la force régionale qui venait en appui aux FARDC. Elle a été déçue face à l’inaction de cette force régionale face à l’avancée de la RDF/M23 qui, au finish, s’est contentée d’occuper les espaces lui indiqués par l’ennemi.

C.G. : Le sommet des Chefs d’État tenu dernièrement à Bujumbura dans le cadre du processus de Luanda s’est terminé sur un constat de non exécution de la feuille de route de ce processus. Comment cela a-t-i été accueilli par les forces sociopolitiques congolaises ?

N.K.O. : Notre population de façon générale ne compte plus sur toutes ses forces qui viennent au Congo. Ce qui s’est passé à Bujumbura reste dans le domaine de voeux pieux. En fait, la RDC fait face à des voisins (EAC) dont la plupart ont transposé les tensions entre Hutu et Tutsi qu’ils vivent au quotidien au Congo. Ils ont tendance à se ranger derrière le prétexte des FDLR.

C.G. : Quelle est la situation actuelle sur terrain, c’est-à-dire les positions des différentes forces et les activités aux différents fronts ? Plus concrètement, qui occupe quoi sur terrain dans le Nord-Kivu ?

N.K.O. : La situation actuelle, c’est toujours la guerre. Les FARDC sont sur la ligne de front contre la coalition rwando-ougandaise à Rutshuru et Masisi. Dans une guerre, on ne se vante pas d’avoir gagné des batailles à travers quelques localités. Seule la victoire finale compte. Les RDF ont réussi à occuper les axes vitaux de ravitaillement en vivres de la ville de Goma, notamment les axes Bunagana-Rutshuru-Goma et Kanyabayonga-Kibirizi-Kirolirwe/Kitchanga-Sake-Goma. Ce qui a pour conséquence l’asphyxie et la hausse des prix des denrées alimentaires. Mais la population qui comprend toutes ces manœuvres campe sur ses positions de ne jamais négocier avec les terroristes. Les Rwandais occupent tout le versant Bunagana-pont Mabenga jusqu’aux confins de Rumangabo (Rutshuru), mais également une partie de Masisi dont Kitchanga et Kirolirwe et les collines environnantes. Le front évolue tellement qu’il est difficile de donner avec précisions les positions. Par exemple, depuis trois jours, nous apprenons que la coalition RDF-M23 s’est réfugiée avec un bouclier humain d’habitants du coin dans les locaux de la MONUSCO à Kitchanga, fuyant les bombardements des FARDC.

C.G. : Et quelles sont concrètement les positions des troupes de l’EAC sur terrain et à quoi s’occupent-elles ?

N.K.O. : En fait, la seule force présente sur le terrain est la Kenya Defence Force (KDF) à hauteur d’à peine un bataillon. Elle ne combat pas. Elle observe. Elle est à Goma et près de Kibumba où les Rwandais lui ont demandé de se cantonner. C’est à elle seule que l’occupant rwandais voudrait remettre la fameuse «zone tampon», c’est-à-dire la gestion des espaces libérés. C’est ce qui a poussé la population à sortir dans la rue. Même le président Tshisekedi a sermonné le commandant de la force régionale lors du sommet de Bujumbura.

C.G. : Comment peut-on décrire les contacts entre ces forces et la population ?

N.K.O. : Ils sont loin d’être au beau fixe. La force régionale roule dans des jeeps 4X4 escortées parfois par les FARDC, évitant tout contact direct possible avec les populations dont le souci primordial reste la paix à travers le retrait des RDF-M23. La population n’a que faire de touristes en treillis militaires.

C.G. : En dehors des accusations quasi généralisées du Rwanda comme agresseur de la RDC, il est aussi fait état de l’utilisation, par les FARDC ou certains de ses officiers, d’éléments des FDLR et des milices locales pour combattre le M23/RDF. Ces accusations peuvent-elles être documentées sur terrain ?

N.K.O. : Il appartient à celui qui allègue un fait d’en apporter la preuve. Un des problèmes qui retardent la pacification l’Est de la RDC, ce sont des ONG qui veulent jouer à l’équilibriste. Il faut établire les responsabilités entre rebelles, pays agresseurs et gouvernement congolais. Voilà pourquoi il faut un dialogue inter-rwandais pour mettre fin au fallacieux prétexte des FDLR qui date de 1994. Les FDLR, ce sont des Hutu rwandais bannis par la communauté internationale, des apatrides dont le nombre échappe à tous les experts. Il est curieux qu’ils ne réapparaissent que chaque fois que le Rwanda envahit la RDC !

C.G. : Et qu’en est-il des activités minières dans les zones de combat ou sous occupation du M23/RDF ?

N.K.O. : Depuis que les troupes RDF occupent certaines parties du Nord-Kivu, elles y ont imposé une opacité qui ne permet à personne de savoir ce qui s’y passe. Les journalistes sont déménagés vers Goma avant même que les localités ne tombent. De la sorte, personne ne sait exactement ce qui se passe dans cet espace sauf ceux qui tirent profit de la guerre. La guerre est ici un business très rentable. Prenez le cas des déplacés dans un pays où le sol produit haricot et pommes de terre, il leur faut de l’aide (biscuits protéinés) venant des ONG qui ne vivent qu’à travers les catastrophes de ce genre. Au finish, il faut se demander avec quel budget un pays comme le Rwanda peut se permettre de faire la guerre.

C.G. : Au regard de la situation actuelle et de votre expérience, quels espoirs peut-on encore fonder quant à un éventuel aboutissement du processus de Luanda ?

N.K.O. : Difficile à y croire mais nous n’avons pas de choix. Le Rwanda est soutenu par des puissances comme les États-Unis, la Grande Bretagne, la France et Israël. Tant que ces parrains du pillage des ressources naturelles de la RDC ne feront pas pression sur Kagame, rien ne va changer. La RDC doit s’assumer comme État et nation pour se défendre. Si nous sommes forts, nous nous ferons respecter. Il faut obligatoirement arriver à inverser le rapport des forces. La RDC doit se donner les moyens de se battre jusqu’au bout comme l’Ukraine.

C.G. : D’aucuns au Congo demandent au gouvernement de se retirer de l’EAC pour relancer ses alliés de la CIRGL, de la CEEAC et surtout de la SADC. Selon votre expérience de la situation des Grands Lacs, l’adhésion de la RDC à l’EAC, dans le contexte actuel, était-elle opportune ?

N.K.O. : C’était une bonne décision et on ne doit pas se retirer. Ce que l’on ne dit pas, c’est que du point de vue des affaires (économiques), pour l’Est du pays, Kinshasa est la périphérie et Kampala et Kigali, le centre. Léopold II avait voulu relier l’océan indien à l’océan Atlantique pour faciliter le commerce vers l’Occident. Voilà pourquoi le Congo Belge a financé la construction du port de Dar-es-Salam (les BelBases). Il y a aussi des liens historiques et culturels, notamment pour les populations transfrontalières. Le problème de l’adhésion à l’EAC ne se pose donc pas. La question à résoudre repose sur les volontés politiques prédatrices et suicidaires de certains dirigeants d’États africains voisins instrumentalisés par quelques grandes puissances. Dans la CEPGL, la CIRGL, l’EAC, nous côtoyons les mêmes voisins. Il faut changer de paradigme et le rapport des forces. Toutefois, la meilleure résilience d’une nation se trouve dans ses forces de défense et de sécurité qui doivent être adaptées à toutes les menaces actuelles et futures. Dommage que sur ce point de l’agression de notre pays, depuis trois décennies nos propres médias nationaux ne sont pas compétitifs et font figure de parents pauvres.

C.G. : Le pays peut-il rebondir plus efficacement en se relançant sur d’autres cénacles diplomatiques du continent ?

N.K.O. : La guerre est faite par deux agents : le diplomate (par la parole) et le soldat (par les armes). S’y ajoute un troisième avec les NTIC, les médias. Sur ce point malheureusement, nous restons encore à la traîne. Si la RDC arrive à activer efficacement ces trois agents avec des moyens appropriés, il y aura montée en puissance de notre pays sur tous les plans. Il s’agit d’abord d’une prise de conscience à l’interne. Car, les États comme les hommes naissent et meurent. On en a une illustration avec la Yougoslavie et le Soudan du Sud. Que veulent les Congolais, mourir ou vivre ? Il faut s’assumer. Nos élites sont assujetties à la pensée occidentale, complexées de leurs diplômes ne les rendent malheureusement pas capables de lire les signes des temps. Ils attendent que les Occidentaux le fassent à leur place (cas du terrorisme à l’Est). La RDC perd des procès ou négocient mal alors qu’elle forme quantité de juristes chaque année.

C.G. : Après le sommet pour le moins stérile de Bujumbura, on a vu le président Tshisekedi chez le président Sassou au Congo-Brazzaville. Cela augure-t-il, selon vous, une nouvelle initiative diplomatique alors que Kinshasa semblait ignorer son voisin jusque-là ? Quelle chance pensez-vous qu’une implication du Congo-Brazzaville peut avoir et à quel prix ?

N.K.O. : Je ne fais jamais confiance aux autorités actuelles de Brazzaville. Elles ne jouent pas franc jeu avec Kinshasa depuis le départ de Mobutu. Brazzaville supporte Kinshasa du bout des lèvres. Elle est en accointance avec Kigali depuis Mzee Laurent-Désiré Kabila. Les autorités de Brazzaville sont soumises à leur parrain, la France via Total Energies. Rien de sérieux à attendre d’elles. Toutefois, on ne peut ignorer un voisin si proche surtout quand il est un «vieux singe». Kinshasa doit comprendre le double jeu de ce voisin. Et Brazzaville doit aussi se demander pourquoi on va à Luanda et pas chez lui. Sauf que les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. La diplomatie s’arrête quand on ne se parle plus. Même l’Ukraine et la Russie arrivent à échanger des prisonniers bien qu’en guerre.

C.G. : En dehors des efforts des organisations continentales, quel rôle pensez-vous que les puissances occidentales peuvent jouer, au-delà de leurs déclarations, pour mettre fin à cette escalade militaire entre Kinshasa et Kigali ?

N.K.O. : Les occidentaux sont les principaux commanditaires de la situation d’insécurité et d’instabilité en RDC. De ce fait, ils ont un rôle de premier plan dans un éventuel processus de désescalade. Pour cela, ils doivent commencer par mettre fin à leur funeste projet de balkanisation de la RDC. Le pape François l’a bien exprimé en leur disant: « Retirez vos mains de la RDC. Elle n’est pas une mine à dévaliser ». Les organisations continentales n’ont pas d’argent pour financer des projets de paix. Elles recourent à l’ONU. Or, qui dit ONU dit États-Unis. Pour rappel, la guerre est un levier important de la politique étrangère des États-Unis. La paix que recherchent les Américains est une paix de l’or, du pétrole en application de l’Arche de Noé, du cobalt, de la colombo-tantalite (coltan), bref des échanges commerciaux. Kigali et Kampala ne sont que des sous-traitants qui essayent d’en tirer aussi bénéfice. Déjà avec des slogans «La RDC, pays solution ou destination indiquée pour les batteries électriques», on peut arriver à vendre la bonne image du pays. C’est un travail collectif.

C.G. : Quel rôle joue aujourd’hui la MONUSCO par rapport à la présence de la Force régionale et au regard de l’état actuel de ses rapports avec le gouvernement ?

N.K.O. : La MONUSCO n’est qu’un figurant incapable même de déployer ses casques bleus sur le terrain malgré les énormes moyens à sa disposition. Au fur et à mesure que la coalition RDF-M23 avançait, la MONUSCO déménageait ses bases militaires. Kiwanja, ce fut la plus grande base tenue par des casques bleus marocains. Ils l’ont abandonnée. Aujourd’hui, la MONUSCO reste plus pour le monitoring des violations des droits de l’homme et a abandonné la mise en oeuvre du chapitre 7. Lorsque les États-Unis ont compris qu’ils n’en pouvaient plus en Afghanistan, ils se sont retirés sans crier gare. La MONUSCO, c’est un peu comme la France qui a attendu qu’on la chasse du Mali. Il faut lui trouver un autre champ d’action. Peut-être Haïti. Naturellement, il y a un plan pour son départ de la RDC après près d’un quart de siècle de présence jugée inefficace en RDC.

 

© 2023 Tokia.cd |Ariel Kayembe

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